Promenons-nous dans la Z.A

Pour une raison aussi parfaitement ennuyeuse qu'inintéressante - la trapanelle qui me sert de transport devait passer un examen de routine - je me suis retrouvé, un samedi matin de bonne heure, à errer dans une zone commerciale et industrielle. Si vous n’avez jamais ressenti à quel point notre époque paraît parfois triste, terne et vide de sens, je vous invite a vivre cette terrifiante expérience.

Or donc, il était un peu plus de huit heures du matin et j’étais seul, devant patiemment attendre qu’on aie fini d’ausculter ma voiture et qu’on m’annonce l’ampleur des dégâts. Pour patienter, j’ai donc commencé à vadrouiller dans la zone industrielle où j’étais. Je me suis rapidement retrouvé sur un grand parking, peuplé uniquement de corbeaux perchés sur la trentaine de semi-remorques garés là, qui jouxtait deux hôtels miteux, pire qu’un Formule 1 de troisième catégorie. L’ambiance était déjà donnée, je savais que j’allais m’amuser.

Après avoir traversé une grande avenue, peu fréquentée à cette heure et heureusement d’ailleurs car je n’ai pas trouvé de passage piéton, je suis arrivé sur le parking d’un grand hypermarché, avec - s’il vous plaît sa propre galerie marchande et sa cafétéria, cafétéria qui annonçait fièrement avec une grande banderole son menu choucroute et bière pour 7 euros. Je me suis demandé un bon moment quelle sorte de personnes pouvaient bien venir se taper une choucroute dans une cafétéria de centre commercial avec vue sur le parking.

C’est d’ailleurs sur ce gigantesque parking que j’ai commencé à déambuler en attendant l’ouverture du magasin à 8h30. J’ai ainsi pu observer la vie sauvage des caddies abandonnés; les folles circonvolutions des papiers gras et autres gobelets en plastique emportés par le vent qui soufflait très fort Tout ça m’a fait penser, allez savoir pourquoi, à une scène de champ de bataille désert dans un film post-apocalyptique, il manquait juste les carcasses de robots en flamme comme dans Terminator.

Comme je commençais à me les geler à cause du vent, je me suis dit “Allez, sois fou, fais le pour ta survie et pour la science”, et j’ai passé les portes automatiques d’entrée, attiré par la chaude lumière des vitrine, comme les petits poissons des profondeurs sont attirés dans la gueule des gros poissons. A mon étonnement, il y avait déjà pas mal de gens avachis sur leurs chariots, attendant l’ouverture du magasin. D’autres étaient accoudés a un bar circulaire planté au milieu du hall, devant un café ou un verre d’alcool. En attendant de pouvoir aller acheter un paquet de gâteau pour consoler ma déprime, j’ai commencé à traîner dans la galerie commerciale.

Alors, je vous assure qu’une galerie marchande, lorsque tout est fermé, les grilles baissées et les lumières éteintes, avec les dernières merdes musicales crachotées par des haut parleurs, ça fout les jetons. Les mannequins habillés à la dernière mode, comme les glandus qu’on croise dans la rue - en jean serrés, chemises à imprimés affreux, ils ne leur manquent plus que la tonne de gel dans les cheveux - qui vous dévisagent, plongés dans l’ombre derrière les vitrines, c’est un truc à vous rendre dingue (“Putain, si ça se trouve les gens dans la rue c’est des mannequins vides et creux!”).

Peu à peu, la galerie marchande m’a fait penser à un décor de film. Dans le sens où un décor est censé représenter la vie réelle mais n’a en fait pas de vie propre, il n’existe plus une fois le film terminé. Le décor est désincarné, ce n’est qu’une façade sans vie. C’est pareil pour la galerie marchande. Tôt le matin, avant l’ouverture, on la voit telle qu’elle est vraiment : glauque, froide, inquiétante. D’un coup, on comprend tout, que sa fausse animation, sa fausse vivacité est là pour nous tromper. Quand elle est éclairée de partout, sa lumière qui veut nous faire croire à une vie de rêve ne veut rien d’autre que nous faire cracher nos biftons. Le centre commercial, c’est vraiment ce foutu poisson qui attire sa proie dans sa gueule béante en l'hypnotisant avec son lumignon. On ne voit plus que la lumière, pas le danger, la gueule béante du monstre qu’elle cache.

Bref, dés que j’ai pu, je suis allé chercher ma boite de cookies aux myrtilles (que j’’espérais naturels et pur beurre, comme il était dit dans la réclame, et j’ai commis l’erreur de regarder les ingrédients) et je suis allé aux caisses, enfin une des deux caisses ouvertes. Après avoir payé mes gâteaux à la caissière qui venait de s’installer et que je devinais ravie de passer sa journée à lire des codes barres, je suis sorti en quatrième vitesse, un rien démoralisé par mon pèlerinage au Temple de la Très Sainte Consommation.

Des fois, on se demande ou va l’humanité. Honnêtement, j’en ai aucune idée, mais j'espère qu’elle va pas au centre commerciale du Brezet à Clermont-Ferrand le samedi matin dès l’ouverture. Parce que si c’est le cas, je vous garantis qu’on est très mal barrés.

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