Liste non-exhaustive pour autodafé.

Chacun le sait, la connaissance c’est le mal, l’épisode biblique d’Eve croquant la pomme de la Connaissance nous le prouve. Cette connasse nous a fait perdre le Jardin d’Eden, juste pour une histoire de connaissance, je vous demande un peu. C’est pour cela qu’il faut désormais tenir éloigné tout être humain de la connaissance, et en particulier des livres. On ne sait jamais ce qu’il va se passer quand ils lisent un livre ces cons là. Si tout va bien ils auront mal au crâne et retourneront devant la télé. Dans le pire des cas, ils aimeront le livre et voudront en lire un autre, et pire que tout, le comprendront.
Cet hiver, pour réchauffer les pauvres dans les rues, quoi de mieux qu’un bon autodafé. Nous faisons ainsi d’une pierre deux coup. Nous fournissons aux nécessiteux une source de chaleur qui leur permettra de survivre un jour de plus face au froid, et nous supprimons par la même quantité de livre susceptible d’apporter quelque chose à nos concitoyens, quelque chose de dangereux comme une idée ou la capacité de penser par soi-même. Je vous demande un peu, il y a des gens pour penser à notre place, pourquoi se fatiguer.
Et puis, il n’y a même pas de publicité dans les romans. Heureusement que la télé est là pour vendre Coca-Cola – « Hooooo, cette sensation s’appelle Coke ! » dit une bande de jeune dont la mixité ethnique et les beaux vêtements prouvent qu’ils sont dans le vent et bien de notre temps, alors jeune si toi aussi tu veux être un jeune dans le coup, bois donc du Coke et viens twister. Bien, cessez de m’interrompre avec vos borborygmes commerciaux des plus déplaisants, et revenons à ce qui nous préoccupe : Quels livres brûler afin de tenir éloigné cette plaie infecte et purulente qu’est le peuple de la connaissance ? Voici une première sélection non-exhaustive de quelques livres à brûler, et pour les meilleurs d’entre nous à lire.

Richard Brautigan; La pêche à la truite en Amérique (suivi de Sucre de Pastèques)
Il est fort probable que lorsque vous aurez terminé ce livre, vous ayez envie d’aller pêcher la truite en Amérique. Ce livre est d’une poésie incroyable, c’est une suite d’histoire toutes bêtes, sans queue ni têtes, mais belle comme un rayon de soleil luisant sur le dos d’une truite arc-en-ciel bien grasse. Brautigan nous raconte des anecdotes, de son enfance, de sa vie à San Francisco, de Baduc à La Pêche à la Truite en Amérique le cul-de-jatte alcoolique le plus célèbre et de ces choses inutiles qui font que la vie est supportable
Sucre de Pastèques est complètement différent. Il s’agit d’une sorte de court roman poétique se déroulant dans un monde où les maisons sont en sucre de pastèques et ont des rivières qui coulent dans le salon, où les tigres sont doués de paroles et excellent en mathématiques et où chaque jour le soleil change de couleurs.

Roger Delorme; Al Capone et la guerre des gangs.
Il y a peu, j’étais dans la cave de l’immeuble ou mon grand-père loge, et je repérais un carton plein de livres. La plupart étaient des romans de gares inoffensifs, mais un livre en haut du tas attirait immédiatement mon œil de censeur. Avec un titre pareil, je me réjouissais déjà de trouver racket, grosse mitraille, règlement de compte, filles de peu de vertu, contrebande boissons frelatées et plats de pâtes italiennes. Je n’ai pas été déçu, hormis en ce qui concerne les plats de pâtes, ou l’auteur reste assez évasif. Ce livre apprends nombre de choses intéressantes sur le personnage d’Al Capone et la guerre des gangs en général, ainsi qu’une foule d’anecdotes sur la période de la prohibition à Chicago, et sur le milieu du crime de l’époque. Très très intéressant.

Martin Page; La libellule de ses huit ans.

Après le très réussi « Comment je suis devenu stupide », Martin Page nous offre un nouveau petit bijou, « La libellule de ses huit ans ». Dans ce roman, Fio Régale, une jeune étudiante en droit, se retrouve catapultée comme la nouvelle révélation du moment dans le panier de crabe mondain qu’est le milieu de l’art contemporain. Elle va être confronté à un milieu qu’elle ne connaît absolument et à une galerie de personnages plutôt originaux.
Page possède l’art spécial de créer des personnages en marge très attachants qui se retrouvent subitement face aux choses les plus absurdes de la société. Au travers de ce roman, Page fait une critique drôle et constructive des milieux artistiques , avec le style d’écriture agréable et poétique qui lui est propre. Un roman drôle et poétique comme on voudrait en voir plus souvent.
(Alors là, en fait, c’est un article avorté écrit pour un journal, et je me suis dit que j’allais pas m’emmerder a écrire ça à nouveau.)

Georges Pelecanos; Soul Circus

Soul Circus est le seul livre de Pelecanos que j’ai pu me procurer gratuitement, par ce lieu de perdition qu’est la bibliothèque. Rendez vous compte, la plèbe peut accéder à la lecture pour presque rien. C’est proprement scandaleux. Mais je reviens au livre. Fortement inspiré par la culture « blaxploitation », Soul Circus a pour héros, Derek Strange, un privé d’origine afro-américaine qui enquête dans les banlieues de Washinton D.C pour empêcher la condamnation à mort d’un leader de la pègre locale. C’est une bonne histoire de détective qui baigne dans l’ambiance des banlieues chaudes de Washington, entre règlement de comptes entre gangs, trafic d’armes et de dope, pauvreté et ghettoblaster. Bien écrit et prenant, Soul Circus est un polar bien construit qui décortique un peu le climat actuel des cités américaines.

Neil Gaiman; American Gods

Soyons clair, Gaiman est l’un des rares conteurs actuels qui peut se permettre de faire un bouquin de 600 pages sans que cela soit pénible un seul moment, et pour cela il faut une bonne dose de talent. L’histoire est celle d’Ombre, un ex-détenu, qui est engagé par un personnage mystérieux, Voyageur qui souhaite avoir une protection et l’aider dans son entreprise. On apprends au fur et à mesure que Voyageur est un des anciens dieux des peuples qui ont colonisé l’Amérique. Et le pouvoir de ces anciens dieux baissent, tandis que les nouveaux dieux des médias, des communications et du mercantilisme deviennent de plus en plus forts. L’affrontement est inévitable, et Ombre va y être entraîné malgré lui. A travers cette histoire, Gaiman dresse un portrait un rien sarcastique de la société des Etats-Unis et signe un excellent roman bourré de clins d’œil à la littérature américaine. Un grand roman.

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